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Le blog de Patrice Armusieaux
30 novembre 2019

la proximité élus-citoyens existe-elle à Sélestat ?

Rémy Lefebvre, dans un de ses livres, pose la question s'il existe bien une poximité entre les élus et les citoyens !

Ce thème de la proximité a envahi le discours politique. Les élus en sont les principaux vecteurs. Le discours est connu, tant il est convenu : ils ne cessent d’exalter la valeur « irremplaçable » du terrain qui permet de « prendre le pouls de la population », « d’écouter ses doléances », de comprendre ses aspirations… La proximité est construite comme un des moyens principaux de faire face au discrédit qui frappe la politique. Le local a progressivement été érigé avec « la crise de la représentation » en espace idéal de reconquête citoyenne, lui qui fut longtemps considéré comme le lieu du particularisme et de l’enracinement identitaire. Les ouvrages-témoignages de maires mettant en avant leur expérience de « terrain », leur proximité, la valeur du « pragmatisme en politique » sont devenus un genre éditorial à part entière auquel sacrifient de nombreux élus. L’activité de maire ne cesse plus généralement d’être érigée en modèle d’excellence de la profession politique. La relation nouée avec les citoyens sur le plan local est devenue la forme achevée du lien politique légitime.

À en croire les élus et de nombreux observateurs, c’est autour des maires et de la proximité que se reconstruira « le vouloir-vivre ensemble », une nouvelle « socialité ». Face à « la précarisation généralisée », à la « déliaison sociale », au déclin des solidarités familiales, le maire constitue un pôle structurant qui reconstruit des solidarités. Les maires sont ainsi qualifiés de maillon essentiel de « la chaîne de la réponse sociale ». La place centrale des maires dans ce continuum est affirmée par le président de l’Association des maires de France : « Alors que tout appelle à une revitalisation de la citoyenneté et de la responsabilité de chacun d’entre nous, rien ne se fera sans le concours des maires qui sont les plus à même de donner une réalité au volet Fraternité du pacte républicain ».

Un des maires rajoutera même : « Face à la déchirure des territoires, ce n’est pas tant l’État lointain et pesant qui peut agir, contenir même les effets de la mondialisation, mais bel et bien l’échelon local où, en dernier repère, se situe le maire. Lui entend les cris de détresse de ses administrés, auxquels il rend déjà une dignité par son écoute préalable à l’action sociale et au discernement de solutions économiques. Sans les 500000 élus locaux, l’État exploserait et ne protégerait ni ne stimulerait plus personne ! ».

Face à un « social » qui apparaît, selon les diagnostics dominants, « éclatée », « atomisée », dépourvu de lignes de force, c’est à partir de la proximité que les élus forgent une sociologie spontanée, une vision du monde social dont ils prétendent être un fidèle reflet. La proximité participe de la tendance à localiser le social et du déclin de l’idée même de société. Elle est constitutive d’une certaine vision du vivre-ensemble qui peut se résumer par la proposition suivante : « le lien social se construit principalement dans les relations de proximité ». On ne peut être que frappé par l’équivalence de plus en plus établie entre « proximité » et « lien social » que la récente crise de la canicule a encore révélée7. Dans ces conditions, « la proximité, définie par la co-présence, conçue comme ressource de socialisation et de solidarisation, devient alors un réservoir de solutions ».

Se rejouent ici ce que Charles Suaud dans un bel article sur les états généraux du développement agricole a appelé « le mythe de la base » et les oppositions symboliques qui le caractérise. Les élus tentent d’imposer la croyance qu’à travers eux, leurs actes et leurs paroles, hors de tout travail politique de traduction, c’est le pays qui s’exprime fidèlement. Ils tentent ainsi d’accréditer l’idée qu’il y aurait un degré zéro de la délégation de parole et qu’ils seraient les premiers maillons d’un véritable continuum de la représentation politique. À travers les élus s’opérerait un processus de consultation démocratique permanent dont le cumul des mandats permet de porter les effets et les résultats au niveau national. Yves Mény faisait pourtant remarquer, lors du débat sur la limitation du cumul des mandats, que les élus avaient peu contribué à inscrire ces dernières années de nouveaux enjeux sur l’agenda politique :

                -  Mény (Y.), 1997, « Cumul des mandats. Dix constitutionnalistes répondent », Revue de droit public,

« La soi-disant connaissance du terrain, note-t-il, n’a pas empêché les parlementaires d’être souvent sourds et aveugles aux grands problèmes du moment, obnubilés qu’ils sont par la défense de petits intérêts spécifiques et de démarches qui n’ont rien à voir avec leur mission première : ni le problème de l’immigration (soulevé par le Front national), ni celui de l’environnement (domaine des écologistes) ni celui de la nouvelle pauvreté (dénoncée par les associations caritatives) n’ont été portés sur l’agenda politique par le parlement »

  •  Jean-Claude Chamboredon et Madeleine Lemaître invitent à ne pas confondre proximité sociale et pro 
  •  Sadran(P.), 2003, « La république des proximités contre la démocratie participative », Pouvoirs lo 

Cette construction-mobilisation de la proximité par les élus s’apparente à un discours d’auto-légitimation. Se prévaloir du terrain et exciper de la proximité suppose d’objectiver des distances, de marquer des écarts. L’opposition entre « la France d’en bas » et celle d’« en haut », qui est largement le fait des élus même si les médias lui donnent aussi une forte résonance, prend ici tout son sens. Tout se passe comme si les élus locaux puisaient dans le « local » et les représentations qui lui sont attachées des ressources de légitimation qui leur font de plus en plus défaut sur le plan national. Les élus cherchent d’autant plus à être proches qu’ils tendent à s’appuyer, avec la professionnalisation politique, sur des ressources de plus en plus distinctives (la compétence notamment. Autrement dit, il s’agit, à partir du local, de neutraliser les effets de clôture du champ politique, de restaurer la validité même du jeu politique et la division du travail politique qui en est au principe. L’invocation de la proximité permet aux élus de se rendre indispensable et de contrecarrer toute institutionnalisation de la démocratie locale sous la forme d’un véritable espace public (la démocratie locale est censée s’épuiser dans le face-à-face élus-citoyens. C’est dire si la défense du cumul des mandats, auquel les élus sont farouchement attachés, constitue un enjeu politique essentiel. Il ne s’agit pas simplement de défendre une forme de concentration des pouvoirs dont la rentabilité électorale est forte mais bien de conserver les profits symboliques attachés à la multipositionnalité. La défense du « local » et de la proximité transcende largement les clivages partisans. Les débats sur le cumul des mandats ont révélé les intérêts communs qui lient les élus locaux des divers partis politiques. Dans la mesure où c’est la légitimité générale du jeu politique qui est en jeu, les solidarités corporatives (l’appartenance au groupe des « élus locaux » et des professionnels de la politique de manière plus large) tendent largement à supplanter les affiliations partisanes.

- Expression du député Pierre Albertini lors du débat parlementaire sur le cumul (troisième séance d

Mais il faut dépasser ce registre d’analyse par trop stratégique. Il convient d’interroger les pratiques que les élus labellisent comme relevant de la « proximité » et comprendre les raisons pour lesquelles cette relation est valorisée. La teneur des « réalités locales », substantialisées, dont les élus seraient porteurs est rarement explicitée de sorte qu’on ne sait pas au juste de quelle étoffe est fait ce « tissu social » avec lequel les élus sont censés faire corps. Les élus locaux s’autorisent sans doute d’une base politique qui n’existe pas indépendamment du travail politique de représentation qui la constitue comme telle. C’est cette proximité tant invoquée par les élus que l’on voudrait ici questionner. Qu’en est-il, au juste, de cette proximité dont on a vu à quel point elle informait les discours politiques ? Quid de ces rapports d’interconnaissance entre élus et citoyens censés créer des réseaux d’échange permanent, via le cumul notamment, entre le système politique et les sociétés locales voire la « société réelle » ? Qu’en est-il des conditions sociales de production de cette parole politique de base dont les élus s’autorisent ?

  • On rejoint ici l’analyse de Anne Girard et Violaine Roussel sur la notion de « confiance », cf. Gi 
  • Si les citoyens souhaitent vraiment des élus plus proches, on s’explique mal pourquoi la décentral 

On voudrait ici étayer deux propositions. La première est que la proximité est d’autant plus invoquée par les élus qu’elle semble se dérober. Elle est d’autant plus recherchée qu’elle semble se raréfier et apparaît en ce sens pour partie mythifiée. C’est lorsqu’elle ne va plus de soi, qu’elle ne va plus sans dire que la proximité est invoquée et qu’il faut alors l’authentifier et l’accréditer. Comme la demande sociale de participation, l’attente de proximité des citoyens est dans une large mesure construite par les professionnels de la représentation à des fins de légitimation. D’autre part, la proximité, dont se parent les élus, est tout sauf nouvelle. Elle n’est pas constitutive d’un nouvel agir politique et renvoie à des pratiques éprouvées, parfois aussi anciennes que la démocratie représentative elle-même. La proximité n’est dans une certaine mesure que le nouvel habillage d’anciennes pratiques. Mais dans le contexte de plus en plus intériorisé par les élus d’une « crise de la représentation », cette proximité est en quelque sorte réinventée. Avant de tenter d’objectiver la proximité en proposant une typologie des interactions « élus-citoyens », il convient d’abord de prendre la mesure des obstacles qui nuisent à son analyse.

Une proximité postulée plus qu'analysée

La question des liens interpersonnels en politique et de la démocratie de face-à-face constitue sinon un impensé, du moins un objet délaissé par la science politique, renvoyé dans l’ordre du « résiduel » voire du « pathologique ». Si l’on s’en tient au plan local, les relations entre préfets, fonctionnaires et élus et la « légitimation croisée » dont elles sont constitutives ont été bien analysées (du moins dans les années soixante et soixante-dix) mais les relations ordinaires au politique ont été méconnues. Les interactions élus-citoyens et la proximité qu’elles sont censées établir sont postulées plus que véritablement analysées. C’est qu’au niveau local, la proximité entre élus et citoyens semble aller de soi. Il convient donc d’abord de se déprendre des mythes pesants qui font écran à une analyse réaliste de la démocratie locale. L’équation « local = proximité» apparaît tellement naturalisée qu’elle n’est à dire vrai plus interrogée. Elle s’impose sur le mode de l’évidence. De même, la « concrétude » des problèmes politiques est spontanément attachée à la commune. Et voilà la boîte noire de la démocratie de « proximité » refermée. Et l’élu local d’être naturellement créditée d’une proximité avec ses concitoyens. Le même spontanéisme préside à l’association entre commune et démocratie locale. Cette mise en équivalence n’est pas nouvelle. Un maire pouvait déclarer en 1969 que « la commune c’est la participation ; la commune est faite par la participation, elle est pour la participation et la commune n’existe que parce qu’il y a de la participation». L’Association des maires de France veille à entretenir cette croyance. Cette assimilation entre « la cellule de base de la société » et l’exercice de la démocratie a déjà fait l’objet d’analyse. Elle s’appuie sur l’antériorité de la commune à toute loi, son irréductibilité apparente à tout dispositif juridique, son historicité propre. La commune est souvent présentée comme une réalité intangible et non une création territoriale artificielle et autoritaire comme le département. L’idée est ancienne selon laquelle les territoires restreints et l’interconnaissance qui s’y développe offrirait les conditions morphologiques idéales d’une démocratie authentique. La représentation de la commune comme le foyer naturel de la démocratie fait ainsi partie du sens commun. La commune est conçue comme une Gesellschaft (unité sociale) beaucoup plus que comme une communauté (Gemeinschaft), fut-elle « imaginée » (B. Anderson). Cette conception organiciste a été mise en cause par de nombreuses études qui ont montré que partager un même cadre de vie, des conditions d’existence similaires, un environnement commun n’impliquait pas nécessairement, même si ces caractéristiques pouvaient y concourir, une participation active aux affaires publiques locales. On infère mécaniquement de conditions physiques et spatiales la proximité effective entre élus et citoyens. Dès lors que l’on aborde la politique locale, le modèle de la communauté villageoise fusionnelle, dominée par de fortes relations de parentèle, de voisinage et de travail, bien inscrite dans l’imaginaire politique français (la France des clochers), semble inévitablement s’imposer.

  • Mancur Olson ne fait-il pas de la taille des groupes latents une pré-condition du passage à l’acti Sur la contribution des anthropologies locales et des théories du « local hérité » à la constructi
  • 28 Notamment Lévy (J.), 1994, L’espace légitime, Paris, Presses de Sciences Po.

Ce sens commun est partagé par de nombreuses analyses de sciences sociales. Les équations objectivistes évoquées précédemment peuvent être sociologiquement étayées. On retrouve ainsi dans de nombreux modèles sociologiques l’idée que l’identité est affaire d’appartenance et que tout groupe d’appartenance revêt une inscription territoriale ou encore celle que les rapports sociaux sont d’autant plus intenses qu’ils se développent dans un cadre territorial restreint. Il y aurait dès lors une nécessité anthropologique du local. Cette vision substantialiste du local a été contestée par une approche plus constructiviste. Le local est alors appréhendé comme un construit social qui résulte de processus où le politique joue un rôle essentiel.

Le débat, l’échange citoyen, l’intercompréhension ou l’intersubjectivité ne sont pas les produits naturels, mécaniques ou univoques de la proximité, fut-elle d’ailleurs territoriale ou sociale.

La prégnane de l'imagerie villageoise = Une proximité pour partie mystifiée

L’urbanisation de la société française n’a pas paradoxalement que peu affecté cette représentation des territoires. Or elle n’a sans nul doute pas été sans effets sur les appartenances communautaires et sur le rapport au politique. La proximité n’a de sens que par rapport à la manière dont les espaces sont vécus. La prégnance de cette représentation des territoires tient sans doute au nombre resté constant des élus locaux, faute d’une remise en cause du morcellement communal français. De plus en plus de Français vivent en ville,mais le nombre d’élus locaux et de communes n’a pas diminué, ce qui peut expliquer que le modèle communal d’interconnaissance, porté par les élus, l’emporte encore dans les esprits. On le sait, « la référence à une communauté de petite taille, idéalisée et chaleureuse, revient fréquemment dans les discours politiques ».

  • 33 Augé (M.), 1997, Pour une anthropologie des mondes contemporains, Paris, Flammarion, p. 157.
  • 34 Chaque communauté locale tend à secréter son « endocratie ». J.-R. Retière, dans son étude d’un ba 
  • 35 Donzelot (J.), 1999, « La nouvelle question urbaine », Esprit,

13Ce qui amène à poser de nombreuses questions. Si, en milieu urbain, on connaît le nom du maire et si on apprécie souvent son action, quelle est au juste la part des citoyens qui le rencontre effectivement et régulièrement ou l’a seulement déjà rencontré ou simplement déjà vu ? Quel est l’accessibilité physique d’un élu en milieu urbain ? À quels espaces de référence s’arrime-t-elle alors que se multiplient en milieu urbain les « non-lieux »? La proximité n’est-elle pas trop souvent confondue avec la notoriété et la visibilité ? Si les électeurs connaissent leurs élus locaux, s’ils les identifient bien, à cause de la très forte personnalisation du pouvoir municipal et à travers les réalisations concrètes et tangibles qui leur sont imputées, les côtoient-ils pour autant ? L’élu n’est-il pas surtout en interaction fréquente avec les citoyens les plus mobilisés et actifs politiquement, soit un nombre, on le sait, assez restreints d’individus ? La promotion des quartiers ou ce qu’on a pu appeler le « quartiérisme » qui participe d’un discours performatif visant à imposer une nouvelle définition légitime des territoires, ne traduisent-ils pas une volonté de reconstituer et sécréter une proximité perdue ? De nombreux travaux ont pu établir le déclin du quartier, comme forme socio-spatiale où se déploient les relations de proximité. Les habitants des villes ne sont plus guère, ou ne sont plus prioritairement, des habitants des quartiers, notent de nombreux sociologues de la ville. Dans l’espace vécu, à l’heure de la mobilité et des relations dites « électives », « la notion même de quartier, si constitutive de la ville industrielle, tend à disparaître » analyse Jacques Donzelot. Selon lui, la ville sédentaire fait place à la ville mobile. Les citadins, libérés par la mobilité des communications, s’engagent dans des logiques « d’appariements », de « rapprochements affinitaires ». Il ne faut pas néanmoins conclure à la dissolution de tout lien de proximité spatiale dans l’expression des activités sociales des citadins.

  • 36 Voir notamment ION (J.), 1997, La fin des militants ?, Paris, Éditions de l’Atelier et Forsé (M.), 
  • 37 Divers éléments indiquent que les élus éprouvent une difficulté grandissante à garder le contact a 

14La proximité, inscrite dans l’imagerie républicaine, était arrimée à une sociabilité locale forte, notamment associative, festive, militante et partisane. De nombreuses études ont démontré le déclin de cette sociabilité associative ou para-partisane, l’érosion de l’entre-soi militant, le déclin d’une certaine forme de civilité locale. L’engagement politique se ferait plus « distancié » mais sur des causes plus « proches ». La convivialité jouerait dans une moindre mesure le rôle de ciment de l’action collective. Plus généralement, c’est à un « déclin » des solidarités primaires, « organiques » ou communautaires voire à une poussée de l’anomie que de nombreuses études concluent. Or c’est en partie grâce à ce tissu local, fait de manifestations ou micro-événements divers, que les élus (on y reviendra) peuvent avoir prise sur la société locale. On peut se demander si l’érosion des médiations qui assuraient traditionnellement le lien entre la communauté locale et les élus ne prive pas ces derniers des relais indispensables sur lesquels ils construisaient leur présence. À en croire le discours des acteurs poli- tiques, ces changements n’ont que peu d’impact sur le lien politique. Comment la proximité des élus s’est-elle adaptée à cette nouvelle donne locale ? S’est-elle recomposée ou est-elle d’autant plus rituellement invoquée et magnifiée qu’elle est en train de s’étioler ? Comment l’élu peut-il atteindre les diverses franges de la population locale, la société locale dans sa bigarrure sociale ?

  •  Voir par exemple, Balme (R.), Faure (A.), Mabileau (A.) (dir.), 1999, Les nouvelles politiques loc 
  •  Bernard Bosson, maire d’Annecy, évoque ces arbitrages : « On n’est jamais assez présent. Le temps 

15En première analyse, on peut émettre une dernière réserve sur la force des relations politiques de proximité. Les analyses convergent pour reconnaître la complexification croissante des processus d’action publique au niveau local et la technicisation subséquente du métier politique. Les élus sont de plus en plus définis comme des « entrepreneurs de politiques publiques », des producteurs d’action publique. On peut alors se demander comment les élus, dont le capital-temps est compté et recomposé, peuvent concrètement concilier cette dimension nouvelle de leur rôle et les exigences chronophages du « terrain »? Ces réserves pourraient conduire à avancer l’hypothèse que la proximité est d’autant plus mise en avant qu’elle serait en crise. La démocratie de contact n’est pas pour autant une fiction. Elle renvoie à des pratiques et à des interactions qui appellent observation.

Un Objet délaissé

  •  La démocratie concrète reste un champ encore trop peu exploré. Voir le constat juste, quoique sévè 
  •  Nous empruntons cette expression à Briquet (J. -L.), 1995, « Les pratiques politiques “officieuses 
  •  Les ouvrages d’élus susmentionnés offrent de précieux éclairages sur la manière dont les élus gère    
  •  Voir, à titre d’exemple, l’enquête de J. -Y. Nevers qui a mené une analyse quantitative des emploi 

On ne dispose à ce titre que de très peu d’études réalistes sur les relations concrètes entre élus locaux et citoyens. On n’en connaît le plus souvent que la partie émergée c’est-à-dire publicisée par la presse locale. Or n’appréhender ces relations qu’à travers le prisme déformant de la presse locale, toujours prompte à mettre en scène la communauté locale et à célébrer l’identité locale et donc en survaloriser la sociabilité, induit des biais. On méconnaît ce faisant les relations souvent pratiques qui unit l’élu au citoyen et qui sont peu publicisées : échange de services, de biens matériels et symboliques, soutiens, demandes de dérogations, d’emplois, aide sociale, logements… Autant de pratiques « officieuses », qui visent à satisfaire le plus souvent des intérêts individuels et partant, considérées comme potentiellement déviantes, qui sont délégitimées par l’idéologie de l’intérêt général et par conséquent très largement occultées par les élus (même si, on le verra plus loin, la légitimation nouvelle d’un « néo-clientélisme » bouleverse la donne). Les études de plus en plus nombreuses consacrées au métier politique ont bien montré la diversité des attentes auxquelles l’élu doit répondre et donc des facettes de son rôle. Reste que les relations quotidiennes avec les citoyens ont été par trop négligées, pour les raisons précédemment évoquées. Il faudrait par exemple entreprendre des études plus systématiques sur les agendas des élus, leurs emplois du temps, leurs courriers, leurs permanences, leurs relais dans les quartiers, les antennes qui leur permettent de démultiplier leur écoute.

  • Nous nous appuyons sur nos observations à Lille et à Roubaix et dans plusieurs villes de la métrop 
  • Le rôle de maire rejaillit, même en situation de non-cumul, sur l’exercice des fonctions électives 

On le voit, des difficultés méthodologiques et des présupposés tenaces, relatifs à la vie politique locale, font obstacle à une appréhension concrète de la proximité. Il est permis d’émettre des réserves sur la fréquence de relations interpersonnelles que les élus ont intérêt à surestimer (même si ce discours a des effets de réalité). On se risquera pourtant ici à partir de nos travaux, de nos observations concrètes, des études existantes s’attachant aux situations de co-présence physique des élus et des citoyens et aux témoignages d’élus à esquisser une typologie des formes de proximité. Quatre formes de proximité seront dégagées en fonction des compétences mises en œuvre, des situations où elles s’inscrivent et des publics auxquels elles s’adressent. Il s’agira principalement d’étudier la figure du maire qui constitue à l’évidence le modèle des pratiques de proximité pour l’ensemble des élus. On sera attentif à la fois aux pratiques des élus et à la manière dont ils les verbalisent, les justifient, les mettent en forme.

La proximité protocolaire

  •  Mons (A.), 1989, « L’image de la scène municipale », Ethnologie française, 2, avril-juin.

Le premier type de proximité que l’on peut repérer dans les activités relationnelles multiformes des élus peut être qualifié de protocolaire. Elle renvoie à l’activité de représentation traditionnelle du maire. C’est une proximité faite de distance à travers laquelle l’élu endosse les signes les plus extérieures à la fonction et lui permet de « devenir ce qu’il est », de se conformer à son identité statutaire. Dans ses interactions, le maire se donne à voir dans les stéréotypes de la fonction. Pour faire vite, cette proximité, toute « républicaine », active le rôle et les stéréotypes du maire, ceint de son écharpe, inaugurant, commémorant, coupant les rubans, adressant ses vœux aux « corps constitués », présidant aux rites un peu surannés de la vie locale. Ces représentations officielles (inaugurations, réceptions en mairie, commémorations…) constituent des séquences cérémonielles qui scandent la vie locale. Elles possèdent les attributs du rite social : importance de la mise en scène, gestes et paroles à caractère répétitif, gestes dotés, aux yeux des participants qui y affirment une existence commune, d’une forte charge symbolique. Chaque micro-événement local est l’occasion de la mise en place de dispositifs symboliques et d’une ritualisation. Ces rites municipaux manifestent une intervention de la société locale sur elle-même, « sorte de dédoublement collectif dont la presse est le miroir». Le maire produit dans ces situations un discours conforme à sa position statutaire, stéréotypé, agrégatif, désincarné.

  •  Surtout lorsque celui-ci paraît se dérober… Voir « Chevènement en son Belfort intérieur », in Libé 

Le paradoxe de ces « manifestations » réside dans le fait que ces rites ne suscitent, le plus souvent, ni affluence ni enthousiasme (les cérémonies du 11 novembre ne mobilisent guère que les « officiels »), mais que les élus s’en acquittent très scrupuleusement et méthodiquement. Tout se passe comme si les élus ne pouvaient échapper à cette dimension institutionnalisée de la fonction, comme s’ils étaient condamnés à s’y conformer et qu’ils ne pouvaient en faire l’économie – sans doute parce que ces rites sont perçus comme un moyen de contrôler un territoire et de marquer sur lui une emprise.

  • Braud (P.), 1980, Le suffrage universel contre la démocratie, Paris, PUF, p. 217.
  • Voir l’ouvrage passionnant, à mi-chemin entre la science politique et la critique politique de Sav 

Ces situations de mise en majesté permettent à l’élu de travailler ce que Philippe Braud appelle « une identité séparative » et de marquer qu’il n’est pas un habitant parmi les autres mais leur mandataire. L’élu est tenu de se livrer à un jeu subtil entre identité, proximité, d’une part, et altérité, distance, d’autre part. Il s’agit, en d’autres termes, d’accréditer la proximité pour mieux signifier l’altérité et réciproquement. L’alchimie des entreprises politiques notabiliaires tient à un mixte de distance qui force le respect, l’estime voire l’admiration (il faut savoir partir de sa circonscription pour mieux y faire retour, ces allers et retours étant souvent ritualisés et mis en scène, et permettant de stimuler l’imagination des citoyens) et de proximité qui accrédite la sollicitude, le respect des attentes des électeurs. À proprement parler, pour cette première forme de proximité, il ne s’agit donc pas ici de contact, mais à travers une présence répétée et ritualisée, l’élu contribue à faire exister la scène municipale ou locale qui l’autorise en retour à s’instituer en représentant légitime.

La proximité informelle

  • Fidelin (B.), 2001, Notre maire à tous ou la République de proximité, op. cit., p. 203.
  • Ibidem, p. 129.

Le deuxième type de proximité apparaît plus informel, moins empesé, plus imprévu. L’élu est alors physiquement proche et palpable. L’élu n’est plus alors forcément là où on l’attend. Il est tenu même de surprendre. La proximité se fait alors plus récréative, plus personnalisée, moins codifiée et routinisée. Le rôle d’élu, au sens dramaturgique du terme, y apparaît moins prégnant. « Je ne me balade jamais déguisé en maire » explique le maire de Saint-Nazaire, Joël Batteux. Tony Dreyfus, maire du 10e arrondissement à Paris, déclare : « Je suis tout le contraire d’un maire festif, d’un adepte de la représentation stérile ; des vins d’honneur et des repas qui n’en finissent pas. Je ne fais même pas de cérémonies de vœux car j’estime que c’est une perte de temps. » Sonmano a mano avec ses concitoyens, il dit l’avoir vraiment le samedi après-midi et le dimanche quand il arpente « les rues, les marchés et les quais, notamment les berges du canal Saint-Martin ».

  • Il suffit pour s’en convaincre de prendre la mesure de l’enjeu que constituent les emplois de temp 
  •  Voir entre autres Faure (A.), 1997, « Les apprentissages du métier d’élu local : la tribu, le syst 
  •  Ici et là, la proximité est néanmoins diversement valorisée et dépend de l’implantation locale des 

Moins codifiée, la proximité informelle n’en reste pas moins le plus souvent rationalisée : l’élu se livre méthodiquement à travers elle à un véritable marquage territorial qu’il estime indispensable. L’investissement d’un territoire est conçu par l’élu comme une ressource forte sur laquelle il construit sa légitimité.Et cet ancrage passe, selon lui, par une forte présence sur le « terrain », présence qu’il faut aussi savoir doser et à laquelle il faut savoir donner du prix. La présence se démonétise et se dévalue en effet si elle est systématique en certains endroits et à certains moments.

  •  Ibid., p. 12.
  •  Ibid.
  •  Ibid., p. 194.

Cette dimension prégnante du rôle est prescrite par la représentation que l’élu se fait de sa fonction et des attentes de la population (qu’il conforte en s’y soumettant). Ce travail de terrain vise à toucher directement et physiquement la population, à faire la démonstration d’une disponibilité jamais démentie. Concrètement, cette proximité prend la forme d’une immersion dans le tissu associatif, dans la sociabilité de quartiers ou dans tout ce que la commune compte de « vie locale ». Il s’agit pour l’élu d’anticiper les endroits et les moments où il faut être présent sans pour autant que cette participation ne réponde à une demande explicitement formulée ni ne procède d’un électoralisme trop manifeste, ce qui suppose une connaissance très fine des mœurs et des codes locaux. Catherine Trautmann, ancienne maire de Strasbourg, dit faire fonctionner ce qu’elle appelle ses « capteurs personnels » pour aller à la rencontre des habitants avec « la plus grande perméabilité » et avec la plus grande efficacité. Jean-Marie Rausch, maire de Metz, définit la « bonne » proximité (celle qui est conforme à son territoire) : « Les citoyens n’apprécient guère, je crois, un maire aux allures d’épicier, qui partirait sans cesse au-devant d’eux pour leur vendre son action municipale. J’apprécie plus la multitude des relations spontanées où mes 100 % de notoriété pallient mon insuffisance de mémoire visuelle. » Jean-François Copé, maire de Meaux, développe une « proximité » différente. « Chaque semaine, chaque fois dans un quartier différent, je me transforme en samaritain, en assistante sociale, en père protecteur, en magicien. Une foule d’entretiens individuels qui prouvent que ce n’est pas une ville que j’administre mais bien des habitants qui ont choisi leur maire, des hommes et des femmes qui ont, tous, leur part de vérité à transmettre. » Il conclut sur ce point : « Un meldois sur trois m’a déjà rencontré au moins une fois. »

Le maire n’est plus alors l’Autre que les dispositifs cérémoniels consacrent comme représentant mais le primus inter pares qui se fond dans la sociabilité de la commune. La proximité physique annule en quelque sorte alors la distance sociale et politique. Jean-François Copé poursuit : « Le but de ces centaines de rendez-vous est de montrer à mes administrés ma considération, mon autorité bienveillante. Loin des grandes stratégies et de la langue de bois, le métier de maire passe par cet exercice régulier d’écoute, leçon de patience et d’humilité. »

  •  Le maire de Meaux analyse les attentes de ce public : « les personnes âgées attendent de leur mair 
  •  La presse destinée aux élus offre des recettes pour faire face à ces situations fréquentes de comm 
  •  Le métier politique doit toujours pour partie être localement spécifié parce qu’il renvoie toujour 
  •  Frèche (G.), 1990, La France ligotée, Paris, Belfaud, p. 141.
  •  Giran (J. -P.), 2001, Proximité et politique, Paris, Economica, p. 11.

D’autres « présentations de soi » sont dès lors requises. L’élu doit être prêt en toutes circonstances à produire et à moduler un discours qui entre en résonance avec les divers publics avec lesquels il entre en interaction (personnes âgées, agriculteurs, anciens combattants, parents d’élèves, philatélistes, rappers, basketteurs, chefs d’entreprise, militants, animateurs culturels, médecins, inconnus, adversaires politiques, riverains victimes de nuisances…). Provoquer le contact, être à l’écoute, inspirer confiance, délivrer le bon message au moment opportun, passer du registre du public à celui du familier ou du privé relèvent d’un métier, de compétences corporelles et langagières que l’élu doit acquérir. Pour faire face à des situations d’interlocution permanentes et à des mises en situations publiques régulières de sa personne, l’élu doit apprendre à maîtriser des gestes qui vont de soi, un ensemble complexe d’attitudes (le tact, le maintien, l’écoute, la « façade », la maîtrise de soi et de ses impressions…), de postures, de façons d’être, de s’habiller, de se tenir, devant une foule ou un simple aréopage d’habitants, d’écouter, de parler, de manger, de rire, plus ou moins localement spécifiques. Tout manquement peut être durement sanctionné. Ainsi Georges Frèche, maire socialiste de Montpellier, peut écrire : « Pour assurer son rôle, le maire doit aimer ses concitoyens. D’inaugurations en réunions, il est toujours en représentation. Qu’il s’ennuie ou qu’il fasse mine d’être dédaigneux, et la population s’éloigne de lui. » « Les maires savent combien il en coûte d’oublier, lors de ces cérémonies rituelles, une main à serrer ou une joue à baiser. »

L’apprentissage de ce métier politique est d’autant plus difficile à analyser qu’il s’accomplit pour une large part en deçà de la conscience.

  •  Bourdieu (P.), 1980, Le sens pratique, Paris, Minuit, p. 123.

« Le corps, analyse Pierre Bourdieu, croit en ce qu’il joue : il pleure s’il mime la tristesse. Il ne représente pas ce qu’il joue, il ne mémorise pas le passé, il agit le passé, ainsi annulé en tant que tel, il le revit. Ce qui est appris par corps n’est pas quelque chose que l’on a, comme un savoir que l’on peut tenir devant soi, mais quelque chose que l’on est »

  •  Ce savoir interactionnel est difficile à objectiver. On l’a dit, il fait partie du sens pratique d
  •  Cette corporéité du métier politique a été très peu étudiée. On gagnerait à analyser ainsi le corp 
  •  Entretien avec André Diligent, maire de Roubaix de 1983 à 1995, le 6 juillet 1996.

Si le métier politique, sens pratique des professionnels de la politique, tient principalement en un sens du placement relatif à l’économie des prises de position (prendre position c’est occuper un espace politique dans un champ institué de concurrence), il relève aussi d’un sens du placement corporel, produit avant tout de l’expérience du jeu. Avoir du métier consiste à manier des concepts et des montées en généralité discursives mais aussi, non moins fondamentalement, à savoir se mouvoir dans des interactions qui mettent constamment le corps en jeu. Trouver physiquement la juste place n’est pas moins complexe que d’adopter politiquement le juste positionnement. La compétence corporelle est donc un des principaux savoirs incorporés par l’élu. En jouant sur les mots, à la suite de Pierre Bourdieu, on pourrait dire que l’homme politique apprend pour partie son métier par corps. « Il faut sortir de soi, donner, faire corps, aimer », nous dit, de manière significative, un élu.

La politique est aussi affaire de mémoire : des visages, des noms, des situations et des problèmes de chacun… À observer les diverses interactions auxquelles prend part l’élu, l’observateur est frappé par la prégnance des réseaux d’interconnaissance et le nombre d’individus qu’il peut saluer nommément. L’élu est capable de maintenir à une multitude de relations un caractère personnel et particulariste. Un mot approprié, une attention délicate, un sourire émanant d’une personnalité politique de premier plan peuvent constituer de très fortes rétributions pour le public de l’élu. Tout se passe comme si une partie du prestige de l’élu rejaillissait alors sur son interlocuteur. À Roubaix, nous avons pu observer à quel point les associations ou les divers groupes sont toujours flattés de recevoir l’élu qui fait « honneur de sa présence » selon l’expression consacrée. La présence du maire est prisée car elle est gage de reconnaissance et gratifiante symboliquement. La déception est grande si le maire est remplacé par l’adjoint. L’élu par cette proximité légitime ses interlocuteurs autant qu’il se légitime. Cette proximité constitue à la fois une contrainte, parce qu’elle est prescrite par le rôle, mais aussi une ressource parce qu’elle l’habilite.

  •  In Fidelin (B.), 2001, Notre maire à tous ou la République de proximité, op. cit., p. 34.
  •  Ibid., p. 97.

La richesse de ces relations interpersonnelles est présentée comme une rétribution essentielle du métier d’élu et de celui en particulier présenté comme relevant du sacerdoce, du don de soi. Le maire du Quesnoy, avoue que « ce relationnel en continu, c’est sa drogue. Embrasser à la chaîne, serrer des mains en bouquets, croiser des regards intenses, tenir la pose bras dessus dessous avec ses administrés face au photographe, prononcer des discours exclusifs devant chaque assemblée et lancer un vin d’honneur dans la forêt des verres de l’amitié. Saurais-je un jour me passer de ça ? ». Alain Juppé trahit une perception un peu différente. « Quel bol d’air salutaire, parfois, que les travaux de l’Assemblée nationale pour vous extirper, un temps, des discussions de “marchands de tapis” inhérentes à l’exercice de la fonction de maire ! »

  •  On manque de travaux ethnographiques sur cette dimension des pratiques représentatives. Il faut ic 

Cette proximité instaure moins une relation d’écoute, de mise en situation démocratique d’échange de points de vue (même si des « messages » peuvent y transiter), que de partage et de fraternité communautaire. La présence des élus n’est pas tant prisée parce qu’elle permettrait d’adresser des doléances ou d’exprimer des insatisfactions ou des vœux politiques que parce qu’elle donne corps à l’appartenance locale, qu’elle participe d’une mise en scène du groupe. C’est un miroir que tend l’élu à la communauté rassemblée. Dans ces interactions, l’élu apprend à connaître la population, à être à son image, à le refléter physiquement, à ressembler à ceux que sa présence rassemble. Par sa présence, l’élu fait exister le groupe dont il s’érige en porte-parole. « Travail de représentation » dit-on habituellement pour qualifier cette activité. Il faut prendre l’expression au pied de la lettre. C’est une capacité mimétique que met en œuvre l’élu. Ce que mettent en jeu les situations de co-présence physique entre élus et citoyens est une figuration et une symbolisation du groupe qui s’opère à travers le représentant. Le travail de représentation au niveau local réside particulièrement dans une activité permanente de présentation de soi.

  • Nous utilisons ce terme de manière assez proche de Robert Castel lorsqu’il évoque les « supports d
  • Cette proximité n’est pas spontanée en ce qu’elle s’appuie sur des « supports » qui lui donnent corps. Elle ne peut se développer qu’à la condition qu’elle soit arrimée à des espaces collectifs pré-constitués (associations, groupes, quartiers…). Elle vient marquer du sceau de la présence politique une sociabilité, le plus souvent déjà instituée, que le politique met en forme ou configure. Dans une certaine mesure, on peut soutenir l’hypothèse, en première analyse paradoxale, que l’élu est d’autant plus présent, et donc mis au premier plan et puissant, que la « société civile » locale est organisée et structurée. Si le tissu associatif s’étiole ou prend des formes renouvelées, le nombre potentiel de citoyens que l’élu peut toucher diminue d’autant. Or c’est cette évolution que l’on peut observer et que les élus eux-mêmes expérimentent et problématisent sous le vocable de « désagrégation du lien social ».
  •  Pour les élus, il s’agit, avec les quartiers, d’« identifier des individus à des lieux-groupes ». 
  •  Les quartiers sont rarement des unités objectives, comme nous invite à le penser Jacques Lévy, L’e 

La manière dont les élus s’appuient depuis quelques années sur les quartiers pour asseoir leur travail de terrain est tout à fait significative de ce point de vue. La référence au quartier est devenue une constante de la rhétorique spatiale des élus, de la représentation qu’ils donnent de leur ville, marquée par une imagerie villageoise. La démocratie de contact se cristallise autour de la référence au quartier comme unité de base de la gestion et du travail municipaux. Ces entités territoriales sécrètent une proximité nouvelle qui est un support et un levier de l’action des élus ; le maillage du territoire, qu’ils opèrent, assure au maire une meilleure intégration dans la société locale. Ils permettent aux élus de garder prise avec le territoire et de convoquer la métaphore organiciste de la cellule de base. Dans chaque quartier, le maire peut s’appuyer sur des interlocuteurs-relais et une sociabilité spécifique. La construction du quartier comme échelon des problèmes concrets, de leur traitement et de la rencontre naturelle et spontanée avec le citoyen permet d’attester l’ancrage territorial de l’élu. La présence de l’élu permet en retour de consolider et d’objectiver les quartiers en les dotant d’une existence objectivée par des pratiques et des discours.

La presse locale, enfin, constitue un atout essentiel dans le travail symbolique d’accréditation de la proximité de l’élu, ce qui ne signifie pas qu’elle soit sous dépendance stricte du pouvoir local. On sait le prix que les élus accordent à la publicisation à travers la presse de leur participation aux manifestations locales. Caisse de résonance locale, la presse permet de publiciser le travail de terrain bien au-delà du cercle assez restreint qui côtoie de près l’élu. Le lecteur est très souvent soumis à une imprégnation de l’image du maire sous les traits dominants de l’omniprésence, de la simplicité, de l’activité débordante, de la facilité de contact et de l’ouverture. La presse, locale et nationale, charrie des représentations du local comme lieu de proximité de l’homme politique et du citoyen. Comme l’élu, la presse a intérêt à développer la proximité parce qu’elle joue aussi une fonction de miroir de la société locale. Ces représentations profitent au maire qui voit sa proximité authentifiée tout en satisfaisant la « demande de proximité » du lectorat.

La proximité d’interpellation : le néo-clientélisme

  •  Lettre de novembre 1998 d’un député de Lille qui invite les électeurs à le contacter à sa permanen 

« C’est parce que la vie quotidienne est souvent source de questions, de petits problèmes ou de grandes difficultés que j’ai voulu donner à tous les concitoyens de ma circonscription la possibilité de garder le contact. »

  • Les permanences instaurent une proximité « provoquée » qui semble le revers d’une distance objecti 
  • Denis Palluel, maire de Ouessant, dit « se muer en écrivain public pour remplir les formulaires d’ 
  • Ces aides permettent la constitution de fichiers d’obligés. Nos observations ont permis d’établir 
  • Notre travail d’observation des porte-à-porte de Martine Aubry montre que cette interaction « fonc 

L’image de leader proche permet d’établir et de consolider une sorte de clientélisme personnel avec les habitants qui deviennent dans une certaine mesure des obligés parce que l’élu leur fait l’honneur de sa présence et atteste par son surinvestissement d’un don de soi. À travers ces nombreuses sollicitations de « terrain », le maire assume une fonction de médiateur entre les habitants et les services municipaux, les pouvoirs publics ou l’administration. Il écoute les doléances, s’enquiert des besoins, accorde une faveur, satisfait des demandes pratiques même si, pour formuler une sollicitation ou une demande plus explicites, le citoyen-requéreur préfère souvent l’ambiance plus calme, confinée, et surtout plus discrète, des permanences. Cette proximité d’interpellation permet de « lubrifier » le système municipal en répondant à des demandes sociales. C’est là sans doute la dimension principale de la proximité qui apparaît avant tout comme une relation d’échange politique de nature symbolique (attention, disponibilité, écoute, petits « services », médiations ou intercessions diverses…) ou matérielle (obtention d’aides sociales, dérogations, demandes d’emploi, de logement…). L’observation révèle que cette définition de la relation politique de proximité est partagée à la fois par les élus et les citoyens (même si pour ces derniers, il faudrait affiner sociologiquement cette affirmation, les individus les moins dotés socialement étant plus enclins à activer une relation clientélaire).

35On voudrait soutenir ici l’hypothèse selon laquelle la proximité est pour partie un nouveau mot social pour désigner un phénomène très ancien, la relation clientélaire. Cette dernière semble faire l’objet d’une nouvelle perception et semble surtout parée d’une nouvelle légitimité. Les relations personnalisées, de face à face, particularistes, étaient traditionnellement disqualifiées comme des pratiques « clientélistes » dérogeant à l’universalisme politique abstrait et transgressant l’idéologie de l’intérêt général. Pour reprendre les catégories analytiques forgées par Luc Boltanski et Laurent Thévenot, la cité domestique était alors stigmatisée par la cité civique. Or tout se passe comme si le sens dont sont investies ces relations d’échange connaissait une transformation. Lors du débat sur la limitation du cumul des mandats, un néo-clientélisme localiste a été explicitement assumé par de nombreux députés (qui n’étaient pas tous situés à droite de l’échiquier politique, notons-le) :

  •  Le député, Pascal Clément, troisième séance du 26 mai 1998, Assemblée nationale, p. 4295. « Tout d 

« En réalité, les Français apprécient un député en fonction de ses réalisations locales, de ce qu’il fait et propose localement […] Si vous attendez des Français qu’ils vous jugent sur votre travail à Paris, mes chers collègues, j’ai une bonne nouvelle pour vous : vous aurez tout le temps d’être élu local après, car vous ne siégerez plus ici la prochaine fois »

  •  Les « services » rendus ne sont plus renvoyés dans un registre officieux des pratiques politiques.

Même si la catégorie de « clientélisme » reste le plus souvent répudiée par les élus et les pratiques qui en relèvent demeurent des stigmates, l’interaction élus-citoyens, entendue comme une relation individualisée d’offres de service, semble gagner une nouvelle légitimité. Elle est en quelque sorte requalifiée et mise en forme comme une relation de solidarité ou d’assistance. Il s’agit d’apporter une réponse adaptée et donc personnalisée à chaque cas sans le constituer en cause ou monter en généralité.

Nos observations montrent que les élus ne cherchent pas le plus souvent à « désingulariser », et donc à politiser, les cas individuels qu’ils rencontrent. Un rapport plus consumériste à la politique (même s’il faut prendre ce terme avec beaucoup de précautions) qui encourage le citoyen à maximiser l’utilité marginale de ces liens avec les titulaires de position politique semble au principe de cette évolution. Les élus déplorent la multiplication des intérêts catégoriels à laquelle ils sont confrontés. Mais leur vision de la société, perçue de moins en moins comme un tout collectif, est indexée sur la relation souvent individualisée qu’ils construisent avec les citoyens. Les élus se présentent de plus en plus comme prestataires de services tout en s’étonnant, dans le même temps, du développement d’un citoyen-consommateur de plus en plus exigeant et utilitariste.

  •  Là encore, il faut éviter néanmoins de généraliser. Tony Dreyfus, maire du 10e arrondissement à Pa 
  • Les entretiens que nous avons réalisés avec les équipes d’élus (secrétaires, assistantes parlementaires…) attestent du nombre croissant de sollicitations et de demandes dont font l’objet les élus… et l’empressement avec lequel ces derniers tentent d’y répondre. Le temps et les moyens, nécessaires à cette dimension du travail politique, semblent en augmentation même si cette tendance est difficile à objectiver quantitativement. Martine Aubry a récemment encouragé, à travers un article de presse, les citoyens lillois à lui adresser des courriers pour solliciter ses services. Elle a renforcé les moyens logistiques des services chargés de les traiter. Les élus se donnent ainsi à voir comme des prestataires de services individualisés. Recul de « l’idéologie de l’intérêt général » (Jacques Chevallier) ? Il est permis d’émettre cette hypothèse même si le clientélisme est tout sauf nouveau.
  •  Sur les transformations du clientélisme, cf. Mattina (C.), 2003, La régulation clientélaire. Relat 
  •  À la suite des élections législatives de 2002, de nombreux élus socialistes lillois ont publiqueme 
  • Jean-Noël Cardoux, maire de Sully-sur-Loire dans le Loiret évoque ses permanences : « Je ne sais j 
  • Voir Lefebvre (R.), 2002, « Le parti socialiste et les catégories populaires. Hypothèses pour l’an 

Ce renforcement probable des pratiques clientélaires n’est pas sans susciter des « effets pervers ». D’abord les moyens logistiques et humains mobilisés rencontrent des limites. Les agendas des permanences sont saturés, les élus sont contraints de déléguer ces tâches à des collaborateurs ou à leurs adjoints ou conseillers municipaux, l’accueil des requérants peut se dégrader, le traitement des demandes devenant purement administratif et anonyme. À Roubaix, un service téléphonique « Allo Roubaix », intégré administrativement dans une nouvelle direction « quartiers », vient d’être créé pour faire face au flux des demandes et rationaliser leur traitement, notamment en le standardisant et en l’uniformisant. À Lille, certains députés ont restreint à dessein l’amplitude de leurs horaires de permanences. D’autre part, les ressources clientélaires se tarissent. Leur allocation est plus encadrée que par le passé (voir notamment l’embauche dans la fonction publique locale). Les emplois-jeunes ont récemment pu constituer une manne de ressources dont il a fallu optimiser l’impact politique mais qui s’est révélée limitée. Les élus suscitent ainsi des attentes auxquelles ils ne peuvent donner réellement suite. La demande fait l’objet d’une réponse accompagnée de la copie des démarches entreprises par l’élu auprès d’administrations, de collègues élus ou d’institutions politiques (l’opacité et l’enchevêtrement des circuits d’attribution et des processus décisionnels permettent bien souvent aux élus de se « défausser » sur d’autres institutions). Elle est toutefois rarement couronnée de succès. À titre d’exemple, 80 % des courriers de la permanence parlementaire de la première circonscription du Nord donnent lieu à des réponses négatives. La proximité apparaît ainsi comme un calcul poli- tique de court terme à faible rendement voire contre-productif. Le lien politique est re-légitimé par l’offre de services mais de manière très éphémère dans la mesure où l’élu est incapable de traiter la plupart des demandes de manière satisfaisante. Il encourt le risque de susciter ainsi « insatisfactions » et « frustrations » tout en banalisant et en désacralisant la relation politique. Lorsque l’élu réactive la rhétorique de l’intérêt général et invoque la citoyenneté pour neutraliser ou repousser des demandes trop pressantes, il est difficile à ses interlocuteurs d’en accepter les principes. Dans les quartiers populaires de Lille, la relation clientélaire semble perdre de son efficacité électorale notamment parce qu’elle n’est plus enchâssée dans des relations de sociabilité partisane. La loyauté fait défaut quand la relation d’échange n’est plus enveloppée dans des relations sociales qui l’enchantent, lui donnent sens et assurent son rendement électoral. La relation clientélaire n’est plus ainsi intégratrice politiquement.

La proximité participative

  • Les débats sur la loi « démocratie de proximité » ou la décentralisation ont réactivé ces représen 
  • Philippe Goujon, premier adjoint au maire UMP du 15e arrondissement de Paris, exprime ses réserves 

C’est dans une logique de citoyenneté participative que s’intègre la dernière forme de proximité que l’on voudrait ici analyser. La proximité participative s’oppose à la proximité clientélaire dans la mesure même où elle est censée concourir à l’édification d’un véritable espace public local, encore très largement introuvable. En fait, ces deux types de proximité s’articulent et s’hybrident plus qu’elles ne s’opposent. En faisant œuvre de démocratie locale, en effet, l’élu se donne à voir comme celui qui se « démène », se dépense sans compter, rend service à la population, se montre à son écoute, démontre sa disponibilité. La proximité traditionnelle de médiation de l’élu était censée épuiser la démocratie locale ou constituer son principal levier et support. Parce que présumée irremplaçable, elle justifiait l’absence d’institutionnalisation qui a longtemps caractérisé la démocratie locale. Traditionnellement, les élus locaux répugnent à des procédures trop formalisées de démocratie. Les relations individualisées qu’ils entretiennent quotidiennement avec leurs administrés tiennent lieu de concertation permanente et rendent à leurs yeux inutiles toute institutionnalisation. Le plus souvent, ils n’encouragent par conséquent la création d’espaces de délibération, de concertation, d’expression qu’à la condition qu’ils puissent en contrôler le fonctionnement et en maîtriser la configuration. Le renouveau de la démocratie locale s’est accompagné d’une formalisation des dispositifs participatifs à travers les comités de quartier notamment, ce qui n’est pas sans susciter de nombreuses réserves de la part des élus.

 - Bruno Bourg-Broc, maire de Châlons-en-Champagne a obtenu une Marianne d’or pour son exercice de la 

Mais les maires ont su s’adapter et contrôler cette nouvelle donne. Ainsi, au niveau municipal, la figure mayorale, loin d’être court-circuitée, est au centre des dispositifs. Le thème de la concertation est devenu un récitatif obligé pour l’élu qui doit afficher en permanence sa volonté de dialogue et d’écoute. La démocratie locale s’organise toujours autour de la présence des élus. Les différents dispositifs mis en place accordent une place centrale (à la fois politique et physique) aux élus qui concentrent les interpellations.

  • Voir Blondiaux (L.), Houk (M.), 1999, « L’espace public et son envers. La prise de parole dans les 

L’observation concrète du déroulement des conseils de quartier montre par exemple la place essentielle qu’ils occupent dans la dynamique des échanges. Place qui a des effets non négligeables sur la prise de parole. « Le pouvoir reste à celui qui organise le tour de parole. » L’élu est à la fois souvent l’inducteur, l’organisateur et l’interlocuteur de la démocratie locale. Ce sont les élus locaux qui président à la reproblématisation actuelle de la démocratie locale. La simple présence de l’élu, comme l’a bien montré Loïc Blondiaux, à partir de ses travaux dans le 20e arrondissement, vaut reconnaissance institutionnelle du comité de quartier. L’ouverture démocratique récemment constatée se fait donc significativement à l’initiative des élus et presque toujours sous leur contrôle. Le mouvement de démocratie locale récent est en somme plus octroyé par les élus locaux que véritablement conquis. La démocratie participative ne supplante pas la démocratie représentative dont la proximité constitue un des principes légitimants.

  •  Voir la contribution de Magali Nonjon dans cet ouvrage.
  •  Entretien avec le maire, René Vandierendonck, le 12 juillet 1995.
  •  Idem.

Cette proximité participative requiert néanmoins de nouveaux savoir-faire et contribue à une redéfinition du métier politique et des savoirs politiques « de proximité ». Elle exige des compétences de traducteur et d’animateur. Dans les réunions de quartier, le maire que nous avons suivi à Roubaix anime le dialogue, écoute les doléances, met en forme les demandes et les relaie auprès de ses services. En présence parfois de techniciens, un point est fait sur l’état d’avancement des travaux dans le quartier, sur son animation. Interpellé par les participants, le maire dissipe les inquiétudes des riverains, s’engage sur des délais, s’assure de la transparence des consultations sur des équipements de proximité (aires de jeu, terrains de baskets…), le devenir d’une place ou une réhabilitation. Il joue un rôle de traduction. « J’explique, nous confie-t-il, ce que les techniciens n’arrivent pas à faire comprendre, le langage codé des techniciens. » Le maire doit apprendre à maîtriser des situations potentiellement conflictuelles. Les réunions de quartier sont l’occasion d’un rapport frontal, non médiatisé, avec les habitants, et parmi eux souvent les plus mobilisés. « Les gens parlent avec leur maire et parfois c’est dur. Les rapports sont francs. Dans une réunion de quartier, quand ils ne sont pas contents, ils viennent vous le dire. La fois d’après, ça s’arrange, c’est plus serein. Si je passe cet examen de passage, la relation se met à fonctionner. » La concertation permet avant tout de produire symboliquement du consensus, d’accroître l’acceptabilité sociale des politiques municipales plus qu’elle n’induit une réelle incrémentalité.

En définitive, au regard de ses résultats, plus qu’un lieu de participation active pour le citoyen, cette proximité nouvelle constitue pour l’élu une tribune lui permettant de communiquer et de justifier ses actions. Certes les lieux de la démocratie locale fonctionnent comme des arènes où les élus sont physiquement accessibles et peuvent être mis devant leurs responsabilités, interrogés et critiqués sur leurs actions. Mais ils permettent surtout au représentant de maîtriser l’information sur un territoire donné et participent ce faisant à sa gouvernabilité et à son contrôle social. Les propos de Gilles de Robien, maire d’Amiens, sont de ce point de vue éclairants.

« La proximité, ce n’est pas une théorie fumeuse, c’est une attitude. Car tout ce qui se noue aux cinq coins d’Amiens me revient comme au fil d’une force centrifuge, lors de la réunion générale des adjoints du lundi matin. L’emplacement des Restos du cœur cette année, le coup de gueule des parents d’élèves, le nouvel atelier de couture de layette, la bonne récolte des centaines de jardins ouvriers, les doléances des commerçants, le chantier d’insertion qui remet le quartier de la Citadelle en état avec 200 jeunes… Ce n’est pas un examen détaché de la situation de la ville, c’est une immersion ! »

Jean-Marie Rausch, maire de Metz, se définit comme « un marcheur de ville » en référence à ses longs parcours pédestres de fin de semaine en compagnie de son épouse, l’appareil numérique en poche, qui lui permettent de régler une multitude de « petits problèmes ».

  •  In Fidelin (B.), 2001, Notre maire à tous ou la République de proximité, op. cit., p. 46.

« Qu’il repère une borne anti-circulation arrachée dans une rue piétonne, un lampadaire en panne ou une marche cassée pouvant provoquer la chute de personnes âgées sur l’escalier qui mène au marché couvert et il fige aussitôt le défaut qui, le lundi matin sur l’ordinateur de son bureau devient une image vite envoyée par intranet, accompagnée d’un commentaire précis, aux services techniques chargés des opérations dans la foulée. »

  •  Le Monde, le 7 juin 2002.

Le maire UMP du 8 e arrondissement de Paris, François Lebel, reconnaît que les conseils de quartier sont « le seul bon moyen de bien suivre les problèmes quotidiens des habitants entre deux élections » et les dépouille ainsi de toute vocation délibérative. Aucune dégradation, aucun problème de voirie, aucun foyer d’insécurité ne peuvent dès lors rester étrangers à l’élu.

  •  Paoletti (M.), 1999, « La démocratie locale française. Spécificité et alignement », La démocratie 

Les structures participatives, le plus souvent suscitées par les élus, se substituent ainsi aux canaux traditionnels d’information devenus largement défaillants. Marion Paoletti note que « l’idée même d’une sphère publique visible, clairement différenciée des affaires d’ordre privé, soumise à un jugement collectif et à une opinion publique, est essentiellement en contradiction avec les implications du principe de proximité ». La constitution hypothétique d’une « société civile locale », encore embryonnaire, et la complexification du niveau local pourraient remettre en cause à l’avenir le rôle de médiation des élus locaux. Ces derniers détiennent jusque-là le monopole de l’expression et de la traduction de l’opinion publique locale mais ils risquent d’être à l’avenir concurrencés par d’autres instances (sondages, médias locaux…).

  •  On sait que la rhétorique du don de soi, de l’oblativité, du dévouement à la communauté locale est (...)
  •  Conscients de ces logiques de notabilisation, les partis de gauche, et surtout le parti communiste (...)
  •  Voir Lefebvre (R.), 2004, « Qu’est le socialisme municipal devenu ? Politisation, dépolitisation, 
  •  Voir parmi d’autres cette affirmation de Nicolas Perruchot, « tombeur » de Jack Lang à Blois en 20 

De cette esquisse de typologie ressort que le lien politique qui se noue au niveau local est fondé sur de fortes relations personnalisées et particularistes et que des réseaux réticulaires denses s’y développent. La proximité est bien une dimension essentielle de l’activité des élus. Mais il en résulte aussi que la présence de l’élu ne revêt pas la signification « démocratique » qu’il lui prête le plus souvent. Les élus locaux s’autorisent d’une « base » politique qui n’existe pas indépendamment du travail politique de représentation qui la constitue comme telle. La proximité permet avant tout aux élus de se constituer un capital politique personnel en contribuant à accroître leur visibilité. Le travail de « terrain » est un des registres symboliques principaux à partir duquel les élus locaux façonnent leur présentation de soi. À travers cette proximité et une véritable ubiquité, l’élu mobilise au quotidien un ensemble de signes et de symboles qui accréditent l’image qu’il veut donner de lui-même et celle qui anticipe d’être attendue par ses interlocuteurs. C’est par la proximité que l’élu local construit sa légitimité à représenter. La proximité permet de manifester les signes de son appartenance et de son attachement à la communauté sociale qu’il représente et de faire la preuve du don de soi qu’exige le rôle. C’est également à partir de ces relations de proximité que les élus construisent une vision de la société, une sociologie spontanée, marquée par le topos de « la montée de l’individualisme ». La vision qu’ils ont de la société et de son « atomisation » apparaît de plus en plus indexée sur ces interactions qui ont, de ce point de vue, une forte signification sociologique. Les élus tendent à s’adresser avant tout à des individus porteurs d’attentes individuelles. La proximité participe ainsi d’un processus de désociologisation « par le bas ». Elle participe de la même manière d’une logique de dépolitisation. Les relations interpersonnelles permettent à l’élu de s’émanciper de la tutelle partisane en l’aidant à se constituer un capital politique propre, à base relationnelle, fondé sur des allégeances à sa personne et non seulement au parti dont il est le porte-paroleLes multiples relations dont la démocratie de contact est faite s’exprime plus dans l’idiome de l’amitié qu’elles ne s’énoncent dans des catégories politiques. Le primat accordé aux relations interpersonnelles basées sur la confiance conduit à neutraliser toute velléité de politisation locale et à consolider la légitimité personnelle des élus locaux. Proximité et apolitisme ont ainsi partie liée. Lorsque la politique se réduit à des relations interpersonnelles, la politique partisane peine à y trouver sa place.

Soutiens à la numérisation

Justice de proximité, police de proximité, démocratie de proximité... Le pouvoir politique est aujourd'hui avant tout soucieux de paraître proche des citoyens. Le mot proximité est sans cesse utilisé par les élus. Il n'en a pas toujours été ainsi. La proximité s'est imposée, en quelques années, comme une catégorie d'évidence. Nouvelle idéologie ? Nouveau référentiel d'action publique ? Nouveau mythe propre aux sociétés post-modernes ? Mais de quoi parle-t-on exactement ? Proximité géographique ? Sociale ? Matérielle ? Politique ? Symbolique ? L'objectif de ce livre est d'interroger cette catégorie à partir de contributions qui résultent d'enquêtes de terrain précises. L'ouvrage s'efforcera d'abord de mettre en perspective l'économie symbolique de la proximité au regard de différentes disciplines et traditions de
pensée. Il s'intéressera ensuite aux façons de faire de la politique dans ce nouveau contexte : comment fait-on campagne à l'ère de la proximité ? Quels liens y a-t-il entre proximité et parité ? On montrera ensuite comment l'injonction à paraître proche transforme l'action publique. Les décisions doivent être prises au plus près de ceux qu'elles concernent, les politiques publiques doivent coller à leurs besoins immédiats. C'est vrai en matière de sécurité, d'action culturelle, de politique de la Ville, de démocratie locale. Enfin, nous restituerons le rôle des médias dans ces transformations. L'injonction à faire proche est en effet aussi forte chez les journalistes que chez les politiques. De même que les professionnels de la politique cherchent en permanence à conjurer la distance qui, objectivement, les sépare des citoyens ordinaires, les médias entretiennent l'illusion d'un contact direct entre ceux qui gouvernent et les spectateurs de la vie politique.

 

 

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